(Conversations à bâtons rompus – n°1)
Est-ce vraiment le moment de parler d’éthique dans les organisations ?
Claire : Dis-moi Max, est-ce que tu crois vraiment que les organisations se préoccupent d’éthique, compte tenu de la crise sans précédent que nous traversons ? Elles sont déjà suffisamment préoccupées par leur survie et l’avenir incertain qui se profile, tu ne crois pas ?
Max : Je le crois en effet. Mais justement, un contexte à ce point inédit rend le questionnement éthique encore plus pertinent et concret. “Tout changer pour que rien ne change”, tu connais l’expression ? Eh bien moi, je pense qu’il faut – et qu’on peut changer – peu de choses pour que beaucoup de choses changent. L’entrée par l’éthique peut nous y aider. L’éthique c’est d’abord une méthode qui consiste à s’interroger régulièrement et sincèrement sur les tenants et les aboutissants de nos pratiques.
Claire : Tu ne veux pas donner de définition à l’éthique ? Mais comment veux-tu qu’on en parle sans même la définir ?
Max : Bah oui, il n’existe pas de PowerPoint pour expliquer ce qu’est l’éthique ! D’ailleurs personne n’en a réellement besoin. L’éthique est une posture et elle doit se travailler comme telle. Cette posture réside dans l’échange organisé ou spontané entre des personnes au sein d’une même organisation et avec leurs environnements humains, institutionnels ou physiques sur leur responsabilité sociale, sur les notions de “social” et de “solidaire”, sur leur intérêt social, leur raison d’être, leur mission…
Ces questionnements et les réponses qui sont apportées sont essentielles pour la performance et l’excellence des organisations. L’impulsion peut bien entendu venir “d’en haut” mais c’est le collectif – sans exception – qui va modeler ce qu’il considère être son socle éthique, le sens de son engagement.
Faire vivre l’éthique, c’est autonomiser un collectif afin qu’il puisse répondre aux questions que les situations bien réelles rencontrées posent.
Savoir identifier dans les petites et les grands décisions à prendre, leur impact et leur utilité pour toutes les parties prenantes, est un bon moyen d’approcher la démarche éthique. et je dirais même que ce travail-là c’est déjà de l’éthique.
Il faut avoir en tête que pour chaque décision, il y a toujours la « meilleure éthique possible », compte tenu des conditions du réel et des impératifs du moment. Sinon effectivement, personne n’oserait y aller.
Claire : Du coup, quels seraient selon toi, les enjeux d’une approche par l’éthique dans les organisations aux relations longues, comme le travail ou les études ? Et pourquoi parler de ces lieux-là d’ailleurs ?
Max : Les études c’est très souvent cinq parfois huit ans de sa vie et c’est un creuset d’échange social, au début d’une vie d’adulte. Cette tranche de vie-là va probablement marquer durablement la personne. Ensuite, vient (normalement) le travail. et là, c’est quarante voire quarante-cinq ans de sa vie qu’on y passe. Dans nos sociétés – à côté de la famille et la “communauté” – ce sont pour le meilleur ou pour le pire les creusets de l’échange social dont tout individu se nourrit et parfois malheureusement s’empoisonne.
L’éthique ne doit pas être considérée comme un moyen, – je pense aux adeptes du purpose washing – elle ne peut être qu’une fin. La quête éthique ne s’arrête d’ailleurs jamais. Et il est par ailleurs impossible d’y renoncer…
Si tu vis ou si tu es simplement le témoin de choses pas très éthiques dans ces univers, tous les aspects de ta vie pourraient être impactés : perte de sens, perte de confiance, déclin de l’engagement… J’ose l’expression de “souffrance éthique” car j’ai malheureusement pu constater ses manifestations, au fil des centaines de situations que j’ai eu à traiter ces dix dernières années.
Claire : N’y aurait-il pas un important travail de pédagogie à faire autour de l’éthique, pour la rendre accessible voire désirable ?
Max : Je suis d’accord. L’ambition éthique étant “déclarée”, un vrai travail est à faire. Il consiste à commencer par s’assurer que chacun sait ce à quoi il contribue et qui peut être quelque chose de plus grand que lui ou que son organisation.
Ça me fait penser à l’allégorie des compagnons tailleurs de pierre et du sens qu’il attribue à leur action, tu vois de quoi je parle ? Eh bien, je suis convaincu qu’à terme, ce sentiment de contribuer à quelque chose de plus grand que soi, va fatalement nourrir la performance et l’excellence de l’organisation et nourrir ses membres qui acquièrent la conscience inébranlable de faire oeuvre utile.
La performance n’est évidemment pas à rechercher en première intention. Ce serait un dévoiement, non éthique par définition. L’éthique ne doit pas être considérée comme un moyen, – je pense aux adeptes du purpose washing – elle ne peut être qu’une fin. La quête éthique ne s’arrête d’ailleurs jamais. Et il est par ailleurs impossible d’y renoncer…
Claire : Avec la récente crise sanitaire, j’ai pu constater qu’on était nombreux à avoir pris conscience que ceux qui sont dans des rôles et métiers moins valorisés dans notre société étaient en fait ceux qui permettaient à l’édifice toute entier de tenir. Ne serait-ce pas un enjeu primordial pour toute organisation que les personnes qui en sont membres s’y sentent considérées et qu’elles puissent ressentir que leur contribution a de la valeur aux yeux des autres ?
Max : Absolument. Et d’ailleurs, sans éthique “à tous les étages”, il ne peut y avoir d’organisation durable. Je pense à ces organisations qui se choisissent une raison d’être ou encore une mission. En travaillant sur ces dimensions, elles entrent de plain-pied dans l’éthique.
Claire : C’est un peu l’image du chemin et de la destination que tu évoques quand tu exprimes qu’il faut viser d’abord la meilleure éthique possible. Mais alors, comment rendre la décision éthique opérationnelle et comment chacun peut mesurer qu’il a fait des choix éthiques ? Quels sont les indicateurs de performance éthique ? Il y a bien un “avant” et un “après” le choix, un aspect constatable, mesurable de l’éthique ? Comment s’y prendre ?
Max : Je ne sais pas te répondre là tout de suite mais on poursuivra cet échange ici si tu veux.
D’ici là, je déconseille à quiconque d’attaquer l’éthique par sa “face nord”, ce que ta question semble induire.
Crois-moi sur parole, l’éthique doit d’abord et avant tout être une fête !